28.5.09

Il reste de cette mésaventure un peu de sel dans le thé...


"Une fois à la maison, j'ai plongé dans ma sacoche et ramené à la surface mon cahier de textes à l'agonie, tagué aux deux tiers, lacéré aux trois quarts. J'avais une disserte à faire. "A partir d'exemples tirés des Fleurs du Mal, commentez cette phrase de Baudelaire : le beau est toujours bizarre." J'appuyai mon menton à mon poing, style Penseur de Rodin. (Ce mec-là devait avoir un prof de français aussi taré que le mien.) Je ne sais pas ce qui a pris à Baudelaire le jour où il a dit ça, ni qui il voulait emmerder en le disant; ce que je sais, c'est que dans son genre, on peut sortir n'importe quoi.
Ce qu'ils me tannent, tous, avec leur culture! Machin a dit. Truc a pensé. Commentez. Je passe ma vie à commenter. Ho! J'existe aussi! Pendant des années, on m'a demandé de dégager les éléments comiques du Médecin malgré lui sans tenir compte du fait que ça ne me faisait pas marrer. Puis on m'a demandé de dégager la beauté de ces vers du poète :
Le vase où se meurt cette verveine
D'un coup d'éventail fut fêlé.
Le coup dut l'effleurer à peine.
N'y touchez pas il es brisé!
et quand j'ai répondu que ça dégageait surtout l'ennui, ou à la rigueur la verveine, on m'a prié de garder pour moi mes remarques humoristiques. J'ai toujours rigolé à contretemps. La culture, c'est de faire là où on vous dit de faire."

Marie-Aude Murail, Sans sucre, merci, L'école des loisirs, 1992
Dessin de Tim Burton (Vincent)

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